lundi 12 mars 2012

Les Sumos ou la cérémonie du Rien

Le Japon est la contemplation du paradoxal. Ce qui est paranormal aux yeux du Français devient paradoxal quand je me transforme en observateur.
Les Japonais cultivent le goût, volontairement ou non, des paradoxes. Il vivent sous les ravages d'une nature difficile, depuis toujours faite de tsunamis, typhons, séismes, éruptions et se régalent des plus petites délicatesses des sens. Ils aiment la fragilité, la finesse, l'inodore, le blanc, le pur, le neutre. Ils créent les mangas, expriment leurs folies, rêvent de violence, conçoivent des robots pendant qu'ils raffolent des histoires d'amour à l'eau de rose, font passer la paix, la contemplation et la conciliation avant tout le reste. Comment les résumer ?

En ce onze mars la terre a tremblée. Elle a tremblée l'année dernière et cette année à l'occasion du tournoi de sumo d'Osaka auquel j'ai assisté. Les deux se sont encore rejoints lors du mokuto, la minute de silence.

Si le pays du paradoxe devait avoir un sport national, beaucoup moins populaire qu'avant c'est sûr, c'est le sumo.
Le sumo, basiquement, imaginez deux masses qui se rentrent dedans dans un affrontement qui ne dépassera jamais les 15 secondes. J'ai dit basiquement puisqu'on dénombre 70 techniques de prises, que le néophyte aura bien du mal à reconnaître.
Un combat se termine lorsque l'un des adversaires sort du cercle ou touche le sol avec autre chose que ses pieds... C'est l'éphémère, l'instant fragile et en même temps la violence des coups et du choc. L'aléatoire décide de tout, le fatalisme s'impose mais pas sans subir la lutte de l'entraînement, des règles, du sacrifice. Un sport à l'image de son pays en somme.

Même si les Japonais rechignent un peu à voir autant d'étrangers maintenant champions de leur sport, celui-ci n'en est en rien altéré. Les sumos, ou rikishi, sont toujours très considérés, c'est un choix de vie très strict, pour lequel on sacrifie tout. La beauté de ce sacrifice est un arrière-fond important pour les Japonais je pense, qui ont souvent respecté cette image.

J'ai dit un sport à l'image de son pays, c'est aussi le cas dans son origine : légendaire. La fondation du Japon est légendaire et aucun Japonais ne songerait à remettre brutalement en cause l'idée que l'Empereur descend d'une lignée divine qui remonte à la création mystique de l'archipel.
Takemikazuchi, une divinité, aurait remporté un combat de sumo et ainsi établit le règne des Japonais sur leur nouvelle terre. Le sport en lui même, au delà de la légende, est très ancien et remonte sûrement au 8ème siècle, dans lequel les combats servent de rituels pour les dieux.
On retrouve bien sûr ce côté frappant sur l'arène, le dohyo, qui est un sanctuaire shinto suspendu au dessus de la tête des combattants.

Les sumos sont divisés dans des séries de classement, dont le recensement ancestral (le banzuke) est un art de la calligraphie. Le numéro un des sumos est le Yokozuna, qui, même s'il perd un combat ne perd pas son titre. C'est à lui de savoir quand il doit renoncer à son titre, sous peine d'apparaître ridicule, un autre ressort du caractère Japonais de la responsabilisation et de l'auto-contrainte.

Le combat en lui-même n'est rien sans la cérémonie qui le précède. C'est donc cette cérémonie du Rien qui fait exister le combat comme un Tout. Presque inexistante dans les faibles niveaux de qualification, elle devient une part primordiale de l'affrontement au fur et à mesure que le niveau monte. Les compétitions se tiennent 6 fois par an et dure deux semaines. Chaque jour, un rikishi fait un combat, et la journée commence tôt le matin pour finir le soir avec le combat du Yokozuna. Les combats de la première division nous offrent le spectacle d'une cérémonie de préparation de plusieurs minutes. Les combattants se toisent, se lèvent, fléchissent, font des aller-retours, s'échauffent, le tout parfois sous les encouragements délirants de la foule qui hurle, applaudit, crie du "ganbare" (courage) à tout-va. Les sumos observent le rite shinto de purification et, lorsqu'il en ont le "pouvoir" (c'est-à-dire à haut niveau), purifie le ring en balançant des poignées de sel, une phase appelée le shiomaki. Une drôle d'ambiance qui mêle des témoignages de fair-play, des intimidations dans un duel psychologique que le livret de présentation évoque comme une "guerre froide" ! Cette étape décisive et très appréciée du combat autrefois d'une durée indéfinie, est aujourd'hui limitée par des règles.

Effectivement, chaque guerre a ses arbitres. Le combat des rikishi est arbitré par le gyoji, qui porte un chapeau noir ressemblant à la coiffe des prêtres shinto, et surveillé par cinq juges qui seuls peuvent décider de recommencer le combat en cas d'incertitude. Ces arbitres, aussi, suivent un classement et sont d'ailleurs presque autant important que les combattants. Avant le combat, le gyoji appelle le rikishi par un chant inimitable qui fait écho aux noms particuliers des combattants qui se doivent d'avoir des consonnances poétiques ; pendant le combat, il encourage les combattants en criant constamment quelque chose que je n'ai pas compris et à la fin il désigne offciellement le vainqueur en prononçant des paroles, une fois de plus mystérieuses.


J'ai essayé d'expliquer sans trop de détails techniques, dont je suis ignorant, ce sport. Une légende, reflet du Japon, mystérieux, dont le sens m'a souvent échappé. En voyant les Japonais fous, gueulant, applaudissant à des moments où le Rien atteint son apogée, j'ai été conquis. Même en y mettant du mien, c'est le paranormal qui l'emporte sur le paradoxal. C'est pourquoi j'aime les Japonais, dont les apparentes cérémonies ne révèlent rien d'une nature en apparence portée à aimer l'absence mais qui à sa manière comprend tout. Face à autant de certitudes, dans un pays apparemment clos et idyllique, où situer la fragilité ? Elle est de mon côté.
Si les Japonais aiment tant les apparences et les cérémonies, cette image n'est-elle pas elle même une apparence en même temps qu'une cérémonie de mystification, celle qui me laissera pour toujours ignorant rêveur ?