mardi 29 novembre 2011

Emploi fictif

Un contraste amusant avec la philosophie japonaise du "chacun à sa place" est la présence des agents de sécurité (différents des policiers donc). Ceux-ci traînent un peu partout dans la ville, mais c'est une population qui vit au plus près des chantiers et écoles.
En fait, une autre observation que j'aimerai aborder concerne l'enfantillage chez les Japonais, mais quels faits y contribuent ? Peut-être cette infantilisation dominante (qui me pousse à prendre en photo chaque signalétique) qui peut s'observer objectivement dans chaque situation et surtout au quotidien. Les Japonais, que l'on imagine globalement plutôt sérieux (jamais en retard, c'est vrai), vivant dans un monde à part et parfaitement organisé (la société de service exemplaire). Pourtant, j'ai remarqué l'inefficacité parfois rageante de certaines situations, celles qui sortent du cadre de la règle, et l’irrationalité amusante des agents de sécurité vaut le détour.

Qui sont-ils ? Des hommes (plus rarement des femmes) en uniforme décoré (de toutes sortes) mais sobre, qui veille à éviter les "accidents". L'accident est vraiment quelque chose à ne pas prendre à la légère et comprend aussi tout ce qui relève de l'organisation (accident au sens d'imprévu donc). On ne sait pas vraiment si l'on est forcé de leur obéir (ceux qui font la circulation dans la fac, oui.), d'où sort leur légitimité... Ils sont là à veiller au grain, et prennent leur mission très au sérieux.

Quelques exemples, ce sont eux qui :
  • font traverser la rue dans la fac, pour ne pas que les voitures ne nous écrasent (ça me rappelle les sorties en primaire)
  • patrouillent dans la bibliothèque, en général pour veiller au respect des règles (pas de boissons, pas trop de bruit...)
  • se tiennent devant les chantiers pour faire circuler les piétons (agiter le bras et regarder s'il y a des voitures, ou mieux vous demander de bien vous ranger sur la gauche en marchant pour ne pas trop s'approcher du chantier)
  • rangent les vélos dans la rue (en les mettant bien droit les uns à côté des autres)
  • surveillent le déchargement des camions dans les stocks des magasins (en se tenant au milieu de la rue pour avertir les voitures)
  • se tiennent debout à certains endroits (oui je n'ai vraiment pas pu deviner leur rôle)
  • permettent la séparation entre la file de gauche et la file de droite à l'entrée de l'escalier de certaines gares (aux heures de pointes, oui)
  • aident les voitures à tourner dans une rue jugée délicate
  • aident les voitures à rentrer dans certains parkings
  • surveillent les parkings à vélos (vélos qui sont déjà surveillés par des caméras, protégés par anti-vol et attachés à la machine du parking, oui simultanément)

C'est tout ce qui me vient en tête là tout de suite mais j'oublie certainement d'autres affections, comme quoi j'ai peut-être fini par les banaliser moi aussi...

Enfin un panneau que je peux lire : "Comme c'est dangereux, interdit d'entrer"... Éloquent


samedi 26 novembre 2011

Sabotage

Jeudi, j'ai dû rater un cours pour aller me promener à Kyoto avec des amis (dont trois amis Japonais), le tout en portant un kimono.
Très difficile de faire le récit de cette journée, qui fût la plus merveilleuse depuis mon arrivée ici. J'ai revu des temples et des lieux incroyablement profonds mais cette fois dans l'ambiance d'automne, c'est-à-dire au milieu des Momiji (un arbre qui devient rouge en automne).
Je mettrai toutes les photos plus tard mais je ne suis pas sûr de pouvoir raconter dans un article tout ce qui m'est passé par la tête dans cette journée. Une sensation unique.

Enfin, pour avoir raté un cours les Japonais disent "skip class" ou alors "sabotage" (parfumé d'un accent inimitable)...

mercredi 23 novembre 2011

De quoi château est-il le synonyme ?

En marchant vers le château d'Osaka, on se dit qu'on va une nouvelle fois pouvoir admirer les vestiges du glorieux Japon, celui dont le monde connaissait à peine l'existence et que le Japon se gardait bien de regarder. La demeure d'Hideyoshi, un des trois unificateurs du pays, dont le château serait l'incarnation. Toute la légende des samuraïs, des pleine lune, des kimonos, des batailles épiques s'étaient éteintes dans les lueurs du jardin qui entourent le château, prêtes à être rallumées par une curiosité, une soif de découverte...
Quant à la sortie de la station de train, un bruit sourd se fait entendre. A peine arrivés, un spectacle étonnant s'offre à nous dans le grand parc. Dans une allée, deux groupes jouent leur musique simultanément l'un à côté de l'autre... Peut-être une autre preuve de l'irrationnalité japonaise. En tout cas, le bordel sonore est incroyable, l'ambiance très étrange (des filles en uniforme jaune dansent avec un vieux), puis une ronde et le tout dans le vacarme de deux groupes alors qu'un troisième s'apprête à les rejoindre sur le stand que je n'avais pas encore remarqué.

En évoluant paisiblement dans le parc, depuis lequel on est dominé par la tour principale du château, majestueuse tour or, verte et blanche. On a pourtant du mal à imaginer le grand Hideyoshi se balader, pour la simple raison que le parc est devenu un espace public impropable. Me rappelant étrangement les parcs publics que l'on trouve en France, ceux où l'on trouve toutes sortes de spectacles d'extérieur, avec magiciens ou jongleurs ; c'est mine de rien agréable (parce qu'on le sent) d'être dans un grand espace ouvert. Effectivement, il y a très peu d'endroits au Japon où l'on n'est pas pressé, serré, enfermé. D'ailleurs beaucoup de gens se retrouvent, notamment les familles qui emmènnent les gosses en sortie, eux bloqués devant les types qui font leurs spectacles. Entre le mec qui rentre dans son ballon géant, le jongleur qui discute, le marionettiste qui fait jouer une réplique de Ray Charles, il y a du choix. Et encore, je n'ai vu que le trajet pour aller au château.
Bien avant le château, une autre anomalie du paysage nous frappe. Trois rangées de fanfares, une en survet bleu, l'autre en pompon rouge et la dernière en fourrure blanche... En fait, situé juste à côté du château, un stade de...baseball. Oui cette terrible maladie qui ronge l'âme des Japonais aurait sûrement fait perdre son kimono à Hideyoshi (tout comme sa représentation dans le jeu Onimusha, pour les curieux). Drôle de façon de préserver le "patrimoine" culturel.

Autrement, le site est extraordinaire évidemment. Les hautes murailles qui jaillissent de larges douves sont impressionnantes et à peine pris un peu de hauteur, on domine tout le paysage d'Osaka avec les montagnes en fond. Le sommet de la tour nous offre le spectacle d'une ville énorme, en apparence désordonnée et fièrement verticale. La photo aérienne du château lui rend bien justice, au milieu de ce très beau parc (surtout en ce moment avec les arbres allant du jaune au rouge), un endroit pour respirer sous l'aura d'un vrai monument japonais. Au sommet de la tour du château, la vue est superbe, à l'intérieur on y trouve de belles illustrations (en plus de l'inévitable boutique) qui nous montrent Osaka au 19ème, un petit ensemble de baraquements, au milieu de l'eau, entrecoupés par une cinquantaine de petits ponts de bois. Evolution impressionnante.
Pour le reste, l'intérieur du château étant purement fonctionnel, on n'en retrouve aucun charme puisque tous les étages sont des expositions (seulement en japonais-anglais d'ailleurs, alors qu'on croise pas mal de Chinois) et des successions d'histoires sur le tragique destin de la famille Hideyoshi. Mouais, très peu d'éléments à tâter, quelques vidéos (involontairement) hallucinogènes de reconstitutions "historiques" et voila voila on a du mal à en retenir plus.

Finalement, en ressortant le soir, les lieux sont vraiments agréables. Dans ce grand parc, on sort un peu de l'environnement rapide et étroit d'Osaka pour pouvoir apprécier un peu ce qui fait aussi le charme de ce pays. Tout ça en contemplant la chaine de montagnes qui s'étend au fond dans la lueur rose-orange de coucher de soleil. Un paysage à couper le souffle même si toutes ces tours laissent songeur. A l'inverse des montagnes, on se demande si ce calme au milieu du désordre demeurera. Comment sera Osaka dans 20 ans ? Une ville qui a muté si vite, qui s'est déjà transformée en 20 ans...



vendredi 18 novembre 2011

La rigidité c'est d'abord l'absence de souplesse

Enfin réussi à m'inscrire au training center. Cette superbe fac possède un centre de sport sur quatre étages avec de l'espace et de belles machines prêtes à faire gonfler abdominaux et pectoraux.
Petit problème, une simple formalité ne suffit pas. Il fallait assister à une réunion en début d'année sur comment utiliser les locaux. Admettons. Nous ratons cette réunion, impossible de s'inscrire en tant qu'étranger, en tout cas c'est ce que nous comprenons.
Pourtant, après d'âpres négociations, nous arrivons à obtenir le droit de revenir avec un papier pour s'inscrire. Papier qu'il a fallu acheter auprès d'un distributeur, lui même situé discrètement dans un des nombreux bâtiments de la fac. Revenu avec le papier, les types qui gèrent le training center nous font comprendre qu'on ne pourra pas l'utiliser car la réunion obligatoire sera dispensée en Japonais et qu'il faut absolument la comprendre. Et c'est tout, fin de la discussion, merci d'avoir payé, il n'y a aucun moyen pour vous de faire des tractions au chaud.
Heureusement, un ami arrivé avant nous a pu nous aider et devait donc impérativement être présent pendant la réunion pour traduire les instructions de l'instructeur.

Arrivés à la réunion, on demande de remplir une petite carte d'identification, dont le schéma (oui, celui du bout de carton que je tenais entre mes mains) est reproduit au tableau par l'instructeur. Ensuite, des informations capitales seront données comme "utiliser lentement les machines", "soyez courtois avec les autres utilisateurs" "ne parlez pas trop fort" "au 2ème étage il y a ceci..." (tout étant indiqué sur une brochure récupérée à l'avance) ou alors les horaires d'ouverture et de fermeture (affichés et présentes dans les deux brochures de présentation de la fac).
Vient alors une vidéo de cinq minutes, tourné caméra à l'épaule par le staff pour nous montrer "en vrai" l'utilisation correcte de quelques appareils. Certains passages de la vidéo sont montrés deux fois et l'instructeur y superpose d'autres explications supplémentaires. Hallucinatoire.

En  faite cette réunion était complétement évitable, elle vous fait juste perdre 30 minutes mais est pourtant indispensable pour s'inscrire. En effet, on aurait pu rester avec nos dix euros foutus en l'air si l'on n'avait pas eu de traducteur pour comprendre ces éléments essentiels. Plutôt désagréable.
La société japonaise, qui passe pour une société parfaitement organisée et donc d'une efficacité exemplaire, me semble complètement dépassée dès que l'on déborde du cadre. En tout cas cette petite société qu'est l'université Kangaku peut aller jusqu'à une inefficacité parfois rageante, car surtout à notre détriment, nous les pauvres Gaijin. Et ce n'est pas le seul exemple de lourdeur incapacitante, je vous en dirai plus après avoir récupéré mon autorisation de travail.

samedi 12 novembre 2011

L'extra-ordinaire du quotidien

Kangaku, ou Kwansei Gakuin, la fac où je suis maintenant depuis deux mois. Je ne presenterai pas complètement la fac, une page wikipedia lui est dédiée...

Des reproches (insistants et violents, pouvant conduire à des émeutes) m'ont été faits comme quoi on ne voyait pas assez mon quotidien sur ce blog.
Afin d'éviter tout bain de sang, c'est chose faite à partir de maintenant. Alors, les photos ayant été prises pendant le festival de l'école, ce n'est toujours pas le quotidien pur et parfait (imaginons qu'il n'existe pas) mais au moins un aperçu des bâtiments, des gens et de l'ambiance.
Je précise donc que toutes les photos hormis quelques rares prises sur une route, qui est le trajet que je fais quotidiennement à pied, sont des photos prises à l'intérieur du campus.

A peine rentré dans la fac, en ce jour de festival, la foule est partout, des stands de bouffe rapide partout tenus par les clubs et cercles rappelant une joyeuse fête de l'Huma.
La difficulté, voir l'impossibilité dans certains cas, de participer à un club en tant qu'étranger s'oppose vraiment à cette vision accueillante, tapageuse du club. C'est la première fois que je voyais des Japonais harceler les gens pour leur vendre des petits trucs, ça ressemble beaucoup aux scènes de rue dans les pays du Maghreb que l'on m'a décrit.
Provoquant une rupture tranquille avec leur quotidien, les clubs sont des espaces fermés où l'on se retrouve pour participer à une activité (jusque là rien d'exceptionnel) mais c'est en fait la vie sociale entière qu'aspire le club. La plupart du temps, on ne voit que les étudiants portant les mêmes blasons se balader ou manger ensemble, et très souvent les sorties du week-end se font entre gens du club. C'était donc, dans ce festival, l'occasion d'une activité comme une autre pour le club, à ceci près que certains ont dû porter des costumes de lapins, et d'autres des pancartes sur le dos... toute la journée.

Au milieu de ce décor inhabituel, j'ai pu me balader en croisant la joie et le stress de ces clubs mais aussi les spectacles de danse, les kimonos, les lapins, les peintres en exterieur etc. L'univers assez folklorique, bien plus élaboré que les heures du soir à la fac, qui se rapproche vraiment du film After Hours, croise les lieux habituels et pourtant hallucinants : petit jardin, lac, supermarché, subway, officiers de circulation, gymnases immenses (le tout dans l'enceinte de la fac).

J'ai noté un contraste intéressant, et à mon avis révélateur d'un certain trait japonais, entre la devanture et l'arrière-boutique.
Dès l'entrée, sur la grande pelouse et sous le plus impressionnant bâtiment sur lequel règne la devise de la fac "Mastery for Service", c'est l'officiel. Par officiel, j'y vois les discours interminables que sont obligés d'écouter une masse d'étudiants en uniforme, les portes étendards s'ennuient un peu plus je pense, l'orchestre qui accompagne les transisitions, les interventions des anciens de l'université parlant de l'esprit de ce corps particulier (et eux ils ne sont plus tout jeune), les drapeaux et les photos étant le décor des alentours de cette devanture.

Et en entrant un peu plus dans la fac, une autre facette s'offre à voir. C'est les ventes style maghrebin d'amuse-gueule, les invitations en folie, les costumes de lapins, les cheerleaders, le maquillage excessif, les vêtements courts, les peluches, les spectacles de danses chaudes qui s'enchainent, dans une salle c'est une reproduction d'un jeux TV etc...
C'était d'ailleurs l'occasion pour moi d'assister à un manzai (spectacle de stand-up japonais). Le manzai c'est un spectacle comique originaire du Kansai (là où je suis, pour ceux qui suivent pas) et donc executé avec l'accent du coin. Très ancien, développé aux alentours du 9ème siècle et perfectionné durant le 17ème siècle, c'est-à-dire bien antérieur au stand-up américain dont je croyais qu'il était une pâle copie, il fait un peu la fierté des gens du coin face aux vilains tokyoites.
L'idée c'est de raconter des blagues, le tout étant très visuel, de faire des quiproquos, mais le plus intéressant reste le duo (qui aura marqué les débuts de Takeshi Kitano) où s'opposent, devant un même micro, un personnage "sérieux" et un "débile" qui ne comprends rien. Malheureusement, n'ayant pas compris grand chose moi non plus, je ne pourrai pas expliquer plus mais je dois dire que ça m'a vraiment marqué.

L'université nous présente des gens qui s'apprêtent à rentrer dans la vie active, on peut donc imaginer qu'il s'agira des mêmes personnes une fois "adultes". Mais pas vraiment, les Japonais, et surtout les Japonaises, ne ressemblent en rien et nul part, à cette fantaisie ambiante, à toutes ces gamineries qui semblent les maintenir si loin du monde "sérieux". Sur simple observation, je croise beaucoup plus de filles à l'université que de garçons, pourtant on n'en retrouve que peu à exercer des fonctions à hauteur de leur qualification. Kangaku est une fac privée, prestigieuse et pas vraiment ordinaire peut-on me répondre mais je dirai que concernant les clubs et la vie sociale étudiante elle ne varie pas tant que ça selon les universités. Rencontrer les jeunes du Japon, c'est le moment idéal pour rencontrer des gens qui s'apprêtent à changer de manière impressionnante, parfois pour rejoindre l'opposé de cet idéal de vie.

Je cite pour conclure une observation géniale que fait Ruth Benedict, auteure d'un bouquin de référence qui fait l'anthropologie de la société japonaises des années 1940, certaines réflexions sont encore pertinentes aujourd'hui... faut-il conclure que les Japonais ne changent pas ? Autre problème mais cette observation m'est revenue en tête au moment où j'écrivais :

"La trajectoire de la vie au Japon est traçée à l'opposé de ce qu'elle est aux Etats-Unis. C'est une grande courbe en U peu accentuée, avec un maximum de liberté et d'indulgence au bénéfice des bébés et des vieillards. Les contraintes croissent lentement après la prime enfance jusqu'au moment où la liberté d'agir à sa guise descend au plus bas avant et après le mariage [...] Enfance et vieillesse sont des 'espaces de liberté'."