samedi 12 novembre 2011

L'extra-ordinaire du quotidien

Kangaku, ou Kwansei Gakuin, la fac où je suis maintenant depuis deux mois. Je ne presenterai pas complètement la fac, une page wikipedia lui est dédiée...

Des reproches (insistants et violents, pouvant conduire à des émeutes) m'ont été faits comme quoi on ne voyait pas assez mon quotidien sur ce blog.
Afin d'éviter tout bain de sang, c'est chose faite à partir de maintenant. Alors, les photos ayant été prises pendant le festival de l'école, ce n'est toujours pas le quotidien pur et parfait (imaginons qu'il n'existe pas) mais au moins un aperçu des bâtiments, des gens et de l'ambiance.
Je précise donc que toutes les photos hormis quelques rares prises sur une route, qui est le trajet que je fais quotidiennement à pied, sont des photos prises à l'intérieur du campus.

A peine rentré dans la fac, en ce jour de festival, la foule est partout, des stands de bouffe rapide partout tenus par les clubs et cercles rappelant une joyeuse fête de l'Huma.
La difficulté, voir l'impossibilité dans certains cas, de participer à un club en tant qu'étranger s'oppose vraiment à cette vision accueillante, tapageuse du club. C'est la première fois que je voyais des Japonais harceler les gens pour leur vendre des petits trucs, ça ressemble beaucoup aux scènes de rue dans les pays du Maghreb que l'on m'a décrit.
Provoquant une rupture tranquille avec leur quotidien, les clubs sont des espaces fermés où l'on se retrouve pour participer à une activité (jusque là rien d'exceptionnel) mais c'est en fait la vie sociale entière qu'aspire le club. La plupart du temps, on ne voit que les étudiants portant les mêmes blasons se balader ou manger ensemble, et très souvent les sorties du week-end se font entre gens du club. C'était donc, dans ce festival, l'occasion d'une activité comme une autre pour le club, à ceci près que certains ont dû porter des costumes de lapins, et d'autres des pancartes sur le dos... toute la journée.

Au milieu de ce décor inhabituel, j'ai pu me balader en croisant la joie et le stress de ces clubs mais aussi les spectacles de danse, les kimonos, les lapins, les peintres en exterieur etc. L'univers assez folklorique, bien plus élaboré que les heures du soir à la fac, qui se rapproche vraiment du film After Hours, croise les lieux habituels et pourtant hallucinants : petit jardin, lac, supermarché, subway, officiers de circulation, gymnases immenses (le tout dans l'enceinte de la fac).

J'ai noté un contraste intéressant, et à mon avis révélateur d'un certain trait japonais, entre la devanture et l'arrière-boutique.
Dès l'entrée, sur la grande pelouse et sous le plus impressionnant bâtiment sur lequel règne la devise de la fac "Mastery for Service", c'est l'officiel. Par officiel, j'y vois les discours interminables que sont obligés d'écouter une masse d'étudiants en uniforme, les portes étendards s'ennuient un peu plus je pense, l'orchestre qui accompagne les transisitions, les interventions des anciens de l'université parlant de l'esprit de ce corps particulier (et eux ils ne sont plus tout jeune), les drapeaux et les photos étant le décor des alentours de cette devanture.

Et en entrant un peu plus dans la fac, une autre facette s'offre à voir. C'est les ventes style maghrebin d'amuse-gueule, les invitations en folie, les costumes de lapins, les cheerleaders, le maquillage excessif, les vêtements courts, les peluches, les spectacles de danses chaudes qui s'enchainent, dans une salle c'est une reproduction d'un jeux TV etc...
C'était d'ailleurs l'occasion pour moi d'assister à un manzai (spectacle de stand-up japonais). Le manzai c'est un spectacle comique originaire du Kansai (là où je suis, pour ceux qui suivent pas) et donc executé avec l'accent du coin. Très ancien, développé aux alentours du 9ème siècle et perfectionné durant le 17ème siècle, c'est-à-dire bien antérieur au stand-up américain dont je croyais qu'il était une pâle copie, il fait un peu la fierté des gens du coin face aux vilains tokyoites.
L'idée c'est de raconter des blagues, le tout étant très visuel, de faire des quiproquos, mais le plus intéressant reste le duo (qui aura marqué les débuts de Takeshi Kitano) où s'opposent, devant un même micro, un personnage "sérieux" et un "débile" qui ne comprends rien. Malheureusement, n'ayant pas compris grand chose moi non plus, je ne pourrai pas expliquer plus mais je dois dire que ça m'a vraiment marqué.

L'université nous présente des gens qui s'apprêtent à rentrer dans la vie active, on peut donc imaginer qu'il s'agira des mêmes personnes une fois "adultes". Mais pas vraiment, les Japonais, et surtout les Japonaises, ne ressemblent en rien et nul part, à cette fantaisie ambiante, à toutes ces gamineries qui semblent les maintenir si loin du monde "sérieux". Sur simple observation, je croise beaucoup plus de filles à l'université que de garçons, pourtant on n'en retrouve que peu à exercer des fonctions à hauteur de leur qualification. Kangaku est une fac privée, prestigieuse et pas vraiment ordinaire peut-on me répondre mais je dirai que concernant les clubs et la vie sociale étudiante elle ne varie pas tant que ça selon les universités. Rencontrer les jeunes du Japon, c'est le moment idéal pour rencontrer des gens qui s'apprêtent à changer de manière impressionnante, parfois pour rejoindre l'opposé de cet idéal de vie.

Je cite pour conclure une observation géniale que fait Ruth Benedict, auteure d'un bouquin de référence qui fait l'anthropologie de la société japonaises des années 1940, certaines réflexions sont encore pertinentes aujourd'hui... faut-il conclure que les Japonais ne changent pas ? Autre problème mais cette observation m'est revenue en tête au moment où j'écrivais :

"La trajectoire de la vie au Japon est traçée à l'opposé de ce qu'elle est aux Etats-Unis. C'est une grande courbe en U peu accentuée, avec un maximum de liberté et d'indulgence au bénéfice des bébés et des vieillards. Les contraintes croissent lentement après la prime enfance jusqu'au moment où la liberté d'agir à sa guise descend au plus bas avant et après le mariage [...] Enfance et vieillesse sont des 'espaces de liberté'."